HISTOIRE DE LA TEINTURE

La nature qui nous entoure est variée. Dès que l'homme prit connaissance de cette variété, il tenta de se procurer des couleurs dans son entourage.
Dans l'antiquité,
il se couvrait de peaux pour protéger son corps. Elles comportaient divers coloris et même souvent des dessins. Les matières premières dont il se servait pour faire ses vêtements — lin, laine, coton, — étaient pour ainsi dire incolores,  d'où son désir naturel de leur donner certaines teintes.
Dès la plus haute antiquité, l'homme s'aperçut bientôt que les couleurs qu'il extrait de la terre ou des pierres ( souvent le jaune, le rouge ), le brun ou le noir, étaient moins indiquées, car elles avaient peu d'affinité, . Il tenta donc sa chance avec des extraits colorants tirés du monde animal et végétal.
Les résultats furent impressionnants, car la majorité de ces colorants ont un bon pouvoir colorant, mais aussi une solidité que seuls les colorants synthétiques plus modernes sont capables de surpasser. C’est avec quelques colorants seulement que commença la teinture dont les méthodes ne devaient guère se modifier au cours de plusieurs millénaires.
Si nous remontons aux débuts de l'histoire de la civilisation et si nous recherchons les mémoires qui s'occupent de tissus et de vêtements, nous aurons peu de chance de les trouver, plus rares encore sont les renseignements sur la teinture proprement dite. Mais, comme il est question ici de vêtements teints et que les dessins mis à jour dans les fouilles représentent souvent des vêtements de couleurs
, il n’existe aucun doute que l'art de la teinture fut exercé dès les débuts de la tradition. Aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire, les témoins proprement dits de l’art antique de la teinture et les textiles mêmes n’ont été conserves que dans les cas plus rares.

IL est probable qu'il n’y avait au début un nombre restreint de colorants( trois à cinq), dont on se servait pour teindre les étoffes. Ce chiffre atteignit la trentaine au cours des siècles suivants. Ce ne fut que vers le milieu du siècle dernier que la chimie nous offrit une telle quantité de colorants synthétiques qu'il est actuellement presque impossible d'en évaluer exactement le nombre.
Un siècle seulement s'oppose avec ses progrès, à des milliers d'années au cours desquelles rien ne changea, l’opinion publique s'est peut être moins aperçue de cette évolution. Certains colorants naturels seront mentionnes dans cet expose sans description précise. La date de leur parution est inconnue. Ce sont des colorants standard, crées depuis très longtemps et représentant, les trois couleurs fondamentales:

Le ROUGE pourpre, garance et cochenille
Le BLEU pastel et indigo
Le JAUNE carthame en particulier

Pour retrouver les traces de colorants et de la teinture des époques les plus anciennes, il est nécessaire d’étudier l’histoire de certains grands peuples que l’on trouve déjà de nombreux siècles avant notre ère, installes le long des grands fleuves; il s’agissait des Chinois sur le fleuve jaune, des Assyriens et des Babyloniens entre le Tigre et l’Euphrate, des indiens sur le Gange, des Égyptien sur le Nil. Il faudrait également mentionner les Perses, les Phéniciens et leurs voisins, les enfants d'Israël.

EN CHINE
Les Chinois sont un peuple dont la tradition artisanale est très ancienne. Ils peuvent invoquer une haute culture de 4000 à 5000 ans. On leur reconnaît diverses inventions. La Chine est aussi le pays d’origine de la soie, le plus noble des textiles, Sven Hedin a retrouvé dans ses investigations sur la route dite de la soie, des restes de cette matière. Malheureusement, il ne nous indique pas s'ils étaient teints. Mais, à en juger par le rang social, tel qu’il nous a été transmis par la tradition, il ressort que, parmi les dynasties les plus anciennes, on portait déjà des vêtements de couleurs; le personnel du Palais porte des vêtements de couleur spécifique, selon le rang social.
C'
est ainsi que:

Le JAUNE était réservé aux empereurs et impératrices
Le VIOLET caractérise les dames de la Cour
Le BLEU était porté par les chevaliers de premier rang
Le ROUGE était la couleur donnée au deuxième grade
Le NOIR distingue le troisième grade

Un volume paru au XVIIIième siècle sur la Chine antique rapporte que, parmi les trois premières dynasties (aux environs de 1800 - 211 av. J.C), la teinture n'était pratiquée que par l' élément féminin d'une famille pour les propres besoins du ménage. 2000 ans avant J.C, les Chinois connaissaient déjà l'indigo et la cochenille. Mais le vert, qu'on appelait dans la langue du pays Lo-Kao, a joui très tôt d'une grande estime. On le tirait de diverses espèces de rhamnus, sortes d’arbustes auxquels appartient le nerprun. L’écorce, le bois et les grains de ces plantes fournissent une nuance d'un jaune vif. Mais, mélangée à l'alun ou à la potasse, la sève donne après avoir épaissi, un vert végétal qui monte directement sur la soie et la teint en vert bleu. Les plantes végétales sont, elles aussi, teintes directement en bain faiblement alcalin. On peut même obtenir un bleu par réduction en cuve. Au point de vue chimique, il s'agit dans ces extraits, de dérives de flavon. On a donc pratique la teinture par mordançage et la teinture en cuve dès les débuts de la teinture.

EN MESOPOTAMIE (IRAK)
LES SUMERIENS
D
ans le pays des deux fleuves, région actuelle de l'Irak, qui signifie du reste le pays des rives, ce furent d'abord les Sumériens qui dominèrent. Eux aussi furent les fondateurs d'une haute culture. On sait qu'ils écrivaient en caractères cunéiformes sur des tablettes d'argile. Le jour où l'on a réussi à déchiffrer leurs inscriptions, ces tablettes nous ont beaucoup appris sur la culture et les habitudes des Sumériens. Parmi les fragments mis à jour, on a aussi retrouvé une tablette d'argile portant la liste des vêtements que devaient porter les femmes dans une famille. L'assyriologue Chiera remarque à ce sujet que les dames de l'époque dépensaient autant pour leur garde-robe que la femme moderne. On peut supposer que ces robes étaient également teintes de différentes façons.
U
ne coutume sumérienne obligeait tous les serviteurs et les servantes, même les animaux domestiques, a offrir leur vie en sacrifice lorsque leur reine venait de mourir, cet effroyable sacrifice nous a été révélé par la sensationnelle découverte du tombeau de la reine Shub-ad dans la ville de Ur. Les restes des dames de la Cour qu'on avait probablement empoisonnées s'y trouvaient encore bien rangés. On les a retrouvés richement ornés d'or et revêtus de robes rouges ou de couleur voyante.

Mentionnons en passant qu'on a déchiffré, il y a quelques années seulement, une tablette d'argile portant des caractères sumériens. On y trouve, sur un espace qui n'est guère plus grand qu'une carte postale, des renseignements assez détaillés sur la préparation du savon.
Cette découverte a été faite auprès de la petite ville irakienne de Tello, anciennement Lagasch. C'est l'Américain M Levey qui a fait cette découverte. Cette tablette qui remonte aux environs du IIIième siècle avant J.C, se trouve maintenant au musée d'Istanbul. Elle constitue le témoignage le plus ancien montrant qu'on savait déjà préparer le savon et qu’on s'en servait pour entretenir les textiles, alors que d'autres peuples venus plus tard, par exemple les Grecs et les Romains,
restèrent bien longtemps sans le connaître. Mais, chose extraordinaire, on manque absolument d'indications sur la façon dont on préparait les colorants. II est fort probable que le savon était un produit purement destiné au ménage et qu'il était préparé par les femmes. En revanche, la préparation des colorants et la teinture étaient confiées aux esclaves. Par ailleurs, l'ancienne teinturerie était toujours entourée de secrets et l'on se gardait bien d'en parler.

A BABYLONE
LES SEMITES

Les Sumériens furent chassés par les Sémites. Ce furent eux qui fondèrent Babylone, sous le règne du roi Hammourabi (1955 - 1912 av. J.C). L'art et la science y prospérait. Même après l'arrivée des Assyriens, ce niveau de haute culture persista jusque dans les premiers siècles av. J.C. Le roi Assourbanipal (668 - 626 av. J.C) a laissé jusqu'à nos jours le souvenir d'un grand bienfaiteur des sciences.
IL avait fondé à Ninive une grande bibliothèque qui vient d'être découverte par des chercheurs américains. On y a retrouvé plus de cent mille tablettes d'argile, dont certaines dataient déjà de 2000 ans au moment ou la bibliothèque fut fondée. Le déchiffrage de toutes ces tablettes et de tous ces fragments est encore loin d'être terminé, mais il fournira bien des renseignements intéressants. Jusqu'ici on n'a malheureusement encore rien appris sur les colorants ou la teinture. Il existe cependant suffisamment de témoignages prouvant qu'on avait le goût des couleurs, et    on a retrouvé en grandes quantités des urnes, des poteries et des statuettes de cette époque, comportant des peintures ou tout au moins des traces de couleurs.
L
e célèbre Nabuchodonosor, de triste mémoire (605 - 562 av. J.C), maître de ce royaume néobabyIonien, fit construire la fameuse porte Ischtar, du nom de la déesse de fécondité. Les vestiges de cette porte ont été sauvés par l'archéologue Koldewey durant les vingt premières années de notre siècle, ils ont pu être transportés dans un musée de Berlin. Par ses couleurs indélébiles, ce monument nous rappelle la magnificence et le goût de cette époque pour les couleurs.

EN PERSE
LES VIEUX PEUPLES DE TEINTURIERS

Des figures chatoyantes, "lions, taureaux, animaux fabuleux et ornements", sont gravés sur les briques émaillées en bleu. Rendu à la lumière, cet édifice rayonne de couleurs et il semble bien difficile d'admettre qu’il ait pu voir passer sous son arche des hommes en habits neutres et sans expression. Malheureusement, les tissus et leur teinture n'ont pas résisté au temps. La porte d'Ischtar vit aussi passer les rois de Perse, Cyrus, Darius et Xerxes (aux environs de 480 av. J.C) Leurs sujets n'étaient autres que de très vieux peuples de teinturiers. Aujourd'hui encore, les Perses travaillent avec des colorants naturels, bien qu'ils n'y soient plus obligés.
Mais, les tapis “de Perse” de vieilles dates, teints à l'aide de colorants naturels, jouissent toujours d'une estime particulière. Contrairement à d'autres pays, la profession de teinturier fut toujours particulièrement honorée dans cette région jusqu'à l'époque actuelle, le teinturier persan s'est toujours reconnu aux restes de couleur dont son corps était couvert un peu partout. Et s'il avait existé quelque chose pour faire disparaître de son vêtement ou de ses mains les traces de sa profession, il n'en aurait pas fait usage. Ses couleurs étaient pour lui le symbole de sa vieille et honorable profession
.

CONQUETE D'ALEXABDRE LE GRAND
L
es Perses furent attaqués par Alexandre le Grand (356 - 323 av. J.C). Ses campagnes nous ont été décrites par le Grec Plutarque, Nous y apprenons entre autres “parmi les objets de butin saisis chez les Perses, on a trouvé 5 000 talents de pourpre demeures intacts pendant 190 ans et brillants encore de couleurs aussi fraîches qu'autrefois, on explique ce phénomène par le fait que l'on ajoutait du miel à la teinture et qu'on prenait de l'huile blanche pour les linges blancs. Après cette longue période, l'éclat de ces étoffes est encore parfaitement pur et rayonnant ” cette remarque ne confirme-t-elle pas la solidité des anciens colorants de pourpre?. Elle nous apprend tout au moins que l'on connaissait et que l'on employait déjà certains apprêts pour les textiles.

EN INDE
INDIGO
C'
est aux Indes, l'ancien Hindoustan, et dans les pays voisins, que se trouve le berceau de l'impression sur tissus. On peut considérer comme certain que l’impression sur tissus fut précédée de la teinture des textiles et qu'elle lui était étroitement apparentée.
L
'Inde est la patrie de l’indigo, les peuples de l'Hindoustan furent les premiers à récolter l'indigo et à en connaître la technologie. Ils furent également les premiers à trouver les meilleurs procédés pour appliquer le colorant de façon durable sur la fibre. On a aussi mis à jour dans la vallée de l'Indus des tissus de coton de date très ancienne, qui avaient été teints avec de la garance.
D
ans un manuel du gouvernement et de l'administration des peuples dans la vallée du Gange, on trouve encore un dessin très instructif en couleur, remontant au 3ème siècle av. J.C. Cette œuvre, intitulée Arthasastra et composée par un certain Kautylia, fait partie des documents qui ont précisément ouvert la voie à l'art antique des Indes Kautilya vivait à l'époque de l'Empereur Kandragupta (321 - 296 av. J.C), qui régnait sur un grand empire dans la vallée du Gange. L'œuvre fut transcrite en sanscrit sur papyrus Shamasastry la traduisit en anglais. Dans la partie technologique, il est aussi question de colorants; colorants indigènes ou étrangers soumis à des droits de douane très élevés. On y trouve mentionnes les noms de crocus, de carthame, de kermès et d'une espèce de cochenille que produisait un insecte, l’indrogepa.
Une autre teinture, pratiquée depuis fort longtemps, (connue sous le nom de jaune indien) est préparée au Bengale en nourrissant le bétail de feuilles de mangues; le colorant, extrait des urines, est un hétéroside comprenant de l’acide D-glucuronique combiné à une molécule très voisine de l’alizarine, la 4,7-dihydroxyxanthone.

AU BASSIN MEDITERRANIEN

PHENICIENS ET
ROMAINS
ROUGE POURPRE
Quand on parle des Indes, on pense nécessairement à la récolte de l'indigo. Lorsqu'on parle des Phéniciens, c'est à la pourpre que l'on songe.
L'aire méditerranéenne adoptera la couleur ROUGE POURPRE des Phéniciens, qui, outre leur habileté à extraire et à fixer cette teinte (il faut des milliers de murex et d'escargots de mer pour obtenir des quantités infimes de matière tinctoriale), possèdent la capacité commerciale et maîtrisent l'organisation marchande pour la diffuser largement.
Le dieu teinturier phénicien Melkart est le patron d'une classe d'artisans qui sont partis de Crète, où l'on connaissait la pourpre dans son usage exclusif pour le costume de cour (1600 av. J.C).
La circulation de maîtres artisans, experts à la fois en métallurgie et en teinturerie, comme ceux que le roi Salomon (950 av. J.C) fit venir à Tyr pour la construction du Temple de Jérusalem, s'explique par le prestige social que la pourpre confère aux civilisations méditerranéennes.
Dans le monde romain, qui recueille, en matière de tissage et de teinturerie, une tradition d'origine étrusque, s'affirme la prépondérance de l'ars purpuraria , qui s'était développé grâce aux tisserands et aux teinturiers de la Grande-Grèce: Sybaris, Syracuse, Tarente.
Dans la corporation du Collegium tinctorum établie par Numa Pompilius, les diverses catégories d'artisans sont établies en fonction de la qualité des couleurs qu'ils produisent.
Dans l'Aulularia de Plaute apparaissent des distinctions précises entre les divers fabricants de tissus et d'étoffes d'ameublement:
Les flammarii (teintes orangées et carthame),
Les crocotarii (crocus ou safran pour teintes jaunes),
Les spadicarii (pour les couleurs brunes, les oxydes de fer et les teintes dérivées du tanin),
Les violarii , parmi lesquels on distinguait:
Les purpurarii ou carinarii pour les teintes spécifiques de la pourpre.
La color principalis de la pourpre devient, sous l'empire, une prérogative des Césars, ce qui détermine des normes très précises afin de contrôler la matière tinctoriale employée pour le tissage.
Avec Alexandre Sévère, un véritable monopole s'établit, et la distribution est faite, dans les provinces de l'Empire, par des officinae purpurariae , qui demeureront actives jusqu'à la production des ultimes pourpres byzantines.
Dioscoride d'Anazarbe (1er siècle de notre ère) reprend à son compte les travaux de Théophraste, dans son traité sur la matière médicale, il rapporte les qualités tinctoriales des plantes les plus utilisées pour l'extraction d'essences, telles que la rocelle ou la noix de galle. Il s'agit de teintures dans la gamme des rouges, orange et jaunes, étroitement liées aux substances utilisées pour les fixer, en général de l'urine fermentée.
Sans doute les Phéniciens sont-ils devenus célèbres comme fabricants de la pourpre. Le nom de “Phénicien” vient probablement de “Phoenix”, c'est-à-dire palmier, ou du mot “phoinos” qui signifie rouge. On est tenté de croire que cette dernière signification serait plus   valable puisqu'il s'agit de la couleur pourpre. Les habitants du pays voisin, la Terre Sainte, recevaient aussi leur pourpre des Phéniciens. Ils leur achetaient également le papyrus dans l'ancienne ville phénicienne Byblos, cité dans laquelle la fabrication du papyrus était centralisée et d'où les expéditions avaient lieu dans le monde entier. C'est la raison pour laquelle les Grecs finirent par donner le nom de Byblos à chaque livre et c'est de là qu’est venu finalement le nom de “Bible” pour le Livre des Livres [......]
Nous devons beaucoup à ce dernier sur la culture des Israélites et de bien d'autres peuples encore.