THEORIES DE LA TEINTURE

Définition de la teinture de Chevreul.
La teinture est un art, a dit Chevreul, qui consiste à imprégner aussi profondément que possible le ligneux, la laine, la soie et la peau de matières colorées, qui y restent fixées mécaniquement, ou ; par affinité chimique, ou enfin, à la fois mécaniquement et par affinité. " Trois genres de teinture" comprendraient donc théoriquement toutes les teintures possibles.
Le premier genre:
Imprégnation mécanique.
on peut donner comme exemple les gris-perle si solides obtenus aux Gobelins sur laine et sur soie au moyen d'un mélange d'outremer et de charbon.
Le deuxième genre:
Imprégnation chimique.
IL
consiste à obtenir un teinture en plongeant la fibre de la soie pendant plusieurs heures dans une dissolution d'un sel de peroxyde de fer.
Le troisième genre:
Imprégnation mécanique et chimique simultanées.
si, après avoir passé la fibre de soie, par exemple, dans le même sel de fer, on la fait passer, avant lavevage, dans un bain alcalin qui précipite sur la fibre l'hydrate de peroxyde de fer.
La clarté de ces exmples apparait très simpliste. Mais le phénomène est est en réalité très complexe, et a donné lieu à des explications fort divergentes.


Différentes explications.
Walter Crum et Mûller-Jacobs, après Hellot et Le Pileur d'Apligny, n'y ont vu qu'une simple action capillaire.
"L
'influence favorable sur la teinture des mordants gras, de l'oxyde d'étain, etc., qui devraient au contraire être des obstacles".
D'ailleurs pourquoi certaines couleurs exigeraient-elles le concours des mordants? Pourquoi la fibre prend-elle la couleur de la substance dissoute et non de la substance solide? Elle le fait pour le bleu d'indigo, qui est une teinture mécanique; pourquoi ne le ferait-elle pas pour le bleu d'aniline, la fuchsine?

B
erlhollet, Macquer, Bergmann, Chevreul, Persoz, Kuhlmann, y ont surtout vu une simple action chimique.
"L
a fibre et la matière colorante conservent après la teinture leurs propriétés caractéristiques, qu'il n'y a pas de rapport constant entre le poids de la fibre et celui du colorant, qu'on peut teindre avec un colorant toute la gamme des nuances".

Remarques de Noelting.
Lorsqu'on examine au microscope la coupe de fibres teintes, on remarque que les parties extérieures sont toujours teintes d'une manière plus intense que le noyau. Noelting remarque, d'autre part, que les colorants basiques ou acides ne se fixent pas sur la fibre avec la coloration de la base ou de l'acide, mais avec celle du sel. Ceci s'explique fort bien, ajoute Noelting, les fibres animales étant des substances protéiques, c'est-à-dire probablement des amido-acides complexes ayant à la fois la fonction acide et la fonction basique.
L
a cellulose du colon, possède un caractère alcoolique; elle n'attire directement que certains acides métalliques, certains sels très basiques, ou des acides comme le tannin et l'acide sulfoléique; elle est indifférente à la plupart des colorants.
Si par oxydation on la transforme en oxycellulose, elle acquiert la propriété de fixer directement, comme la laine et la soie, les colorants à caractère basique ; mais elle se montre d'autant plus rebelle vis-à-vis des colorants acides ou phénoliques. Pour Noelting, ces divers arguments sont concluants en faveur de la
théorie chimique.
Q
uant au mécanisme de la fixation des colorants teignant directement la cellulose, on pourrait admettre que c'est une simple juxtaposition des deux éléments. Certains de ces colorants sont fixés à l'état de liberté : curcumine, acide carthamique; d'autres sous forme de sels alcalins, en particulier les dérivés de la benzidine.
U
n grand nombre de matières colorantes à caractère acide ou phénolique donnent avec les oxydes métalliques des précipités ou laques insolubles dans l'eau. Si l'oxyde est fixé sur une fibre et qu'on plonge ensuite la fibre dans le bain colorant, la laque colorée se forme sur la fibre et il se produit une teinture secondaire. Ainsi l'alumine, le fer, le chrome, l'étain, le nickel, l'urane se teignent en alizarine, campêche, graines de Perse, galléine, céruléine, etc.
P
our qu'un colorant se teigne sur mordant , la condition essentielle est que ses laques soient absolument insolubles. Même dans ce cas il peut y avoir des exceptions, comme l'alizarine et les 7 isomères connus : ces isomères donnent bien des laques avec les oxydes, sans fixation sur les fibres mordancées.

Recherches de Ed. Knecht.
IL se prononce catégoriquement pour la théorie chimique de la teinture.
IL
a trouvé qu'en teignant la laine et la soie avec les couleurs basiques, la couleur éprouve une décomposition complète; la base s'unit à la fibre pour former une laque insoluble colorée, tandis que tout l'acide reste dans le bain, mais en se saturant par des produits de décomposition. Il a isolé de la laine une substance albuminoïde sulfurée (en la dissolvant dans la baryte caustique, précipitant cette dernière par l'acide carbonique, et précipitant la substance albuminoïde par l'acétate de plomb), soluble dans l'eau, précipitant les sels métalliques et les couleurs substantives acides en solution aqueuse acidulée : écarlate cristallisé, orangé, acide picrique, jaune de naphtol, rouge solide, noir de naphtol, bleu soluble, violet acide, extrait d'indigo, et les couleurs basiques en solution neutre. Cette substance, produit probable de transformation, représente (25 à 30) % du poids de la laine. La proportion de couleur substantive acide fixée par la fibre est constante; pour l'acide picrique, elle est de 13 % de la laine; pour le jaune de naphtol S, elle est de 20,8 %. Pour la tartrazine de 22,6 %. Elle n'est que de 8 % pour les couleurs basiques.
Le maximum de quantité de fixation est toujours atteint dans la première heure. Un certain nombre de couleurs substantives pour la laine ne seraient que des couleurs adjectives, et l'acide lanuginique serait le mordant. Mais il resterait à expliquer la teinture de la soie et du colon.


Travaux de Léo Vignon.
En 1890, il s'est prononcé encore plus ouvertement pour la théorie chimique. Le pouvoir absorbant de la soie pour des dissolutions neutres se manifeste dans le calorimètre par des dégagements de chaleur nettement appréciables. Les fonctions chimiques du grès sont plus intenses que celles de la fibroïne. La soie grège ou décreusée dégage plus de chaleur avec les acides et les bases qu'avec les sels neutres. Vis-à-vis des substances soit basiques, soit acides, les textiles affectent des fonctions chimiques parfaitement nettes, mises en évidence également par la méthode thermochimique ; la soie et la laine possèdent à la fois la fonction acide et la fonction basique, comme le glycocolle ou l'acide amidoacétique; le colon n'accuse qu'une fonction acide extrêmement faible. Or la soie et la laine fixent facilement les matières colorantes; au contraire, les fibres végétales ont peu d'aptitude à la teinture. Pour aminer le coton, L. Vignon chauffe en vase clos à 100°C pendant six heures une partie de coton et quatre parties d'une solution aqueuse d'ammoniaque à 22°B., ou de chlorure de calcium ammoniacal. Il existe donc un rapport étroit, entre la présence de la fonction acide ou basique et la fixation des matières colorantes par la fibre. Enfin, dernier argument, toutes les matières colorantes, sans exception, possèdent des fonctions acides ou basique?, ou les deux réunies. Elles renferment toutes dans leur molécule, une ou plusieurs groupements OH, NO2, NH2, etc.
En résumé, chaque fois qu'une substance, qu'il s'agisse . d'un textile ou d'un oxyde métallique, exerce un pouvoir absorbant sur les matières colorantes, on constate la présence de fonctions basiques ou acides. On fait naître ce pouvoir absorbant, quand il n'existe pas, en aminant le coton et en lui donnant des fonctions basiques; on le fait disparaître, quand il se manifeste, en polymérisant l'acide stannique et en activant ses fonctions acides. De plus, toutes les matières colorantes sans exception possèdent les fonctions basiques ou acides, ou les deux fondions réunies. Or tous les phénomènes de teinture, qu'ils se manifestent avec des textiles ou avec les oxydes métalliques, nécessitent deux conditions essentielles :
1) La présence de fonctions acides ou basiques dans les absorbants ;
2) L'existence de ces mêmes fonctions dans les matières colorantes absorbées.

La seule exception qui existe à cette règle est celle des matières colorantes tétrazoïques, à la vérité basiques ou acides, mais que le coton absorbe sans mordant en bain alcalin.
La force chimique qui préside à l'union des matières colorantes et des textiles ou des matières colorantes et des oxydes métalliques est de même nature que celle qui fait réagir les bases et les acides pour la formation des sels.


Objections à la théorie chimique.
Mais la théorie chimique de la teinture n'en a pas moins contre elle deux grandes objections :"On conçoit mal des combinaisons chimiques dans lesquelles il entre toujours un poids considérable de l'un des composants: la fibre, pour un très minime de l'autre: la matière colorante. Ensuite, ces combinaisons seraient réellement bien instables, car presque toutes les matières colorantes fixées sans mordant sont enlevées à la fibre par l'eau ou par l'alcool agissant comme un simple dissolvant. Prenons de la soie teinte avec de la fuchsine; le savon n'enlève rien ; l'alcool enlève tout, et, si l'on ajoute de l'eau, la soie reprend la couleur" Aussi, après les savants qui n'ont vu dans la teinture qu'un phénomène d'ordre physique, et ceux qui n'y ont vu qu'un phénomène d'ordre chimique, il y a ceux qui font la part des actions mécaniques et de l'action chimique: tels Verdeil, Vassart, O..N. Witt.

Théorie de O.N. Witt.
IL a donné en 1891, à titre d'hypothèse, une nouvelle théorie de la teinture. Il la considère comme une dissolution de la matière colorante dans la fibre, cette solution étant en quelque sorte une combinaison moléculaire en proportions indéfinies. Si l'on secoue avec de l'étherune solution aqueuse de résorcine, l'éther prend toute la résorcine; de même, si l'on met de la soie dans une solution aqueuse de fuchsine, la soie prend toute la fuchsine, parce que celle-ci est plus soluble dans la soie que dans l'eau ; si l'on ajoute en quantité suffisante de l'alcool à l'eau, on peut reprendre à la soie la fuchsine dissoute. Ces considérations expliquent pourquoi la fibre doit être agitée dans le bain de teinture; il existe une relation entre le poids de la fibre et le volume du bain; on favorise la fixation des couleurs sur les fibres en diminuant leur solubilité dans l'eau par une addition d'acide sulfurique ou de sel.
Dans cet ordre d'idées, une couleur tire sur une fibre lorsqu'elle est plus soluble dans cette fibre que dans son dissolvant.
La théorie de O.N. Witt comprend aussi les cas de teinture par mordants, le mordant se dissolvant d'abord dans la fibre, puis attirant la couleur.
Le fait suivant, découvert par C.F. Cross et E..J. Bevan, peut donner quelque appui aux idées de O.N. Witt. La solution rouge obtenue en mélangeant une solution de chlorure ferrique et une solution de prussiale rouge teint la ligno-cellulose, et notamment le jute, en bleu de Prusse ; la teinture présente ce caractère particulier qu'elle est absolument pénétrante, car les coupes vues au microscope sont transparentes; il peut y avoir charge de( 20 à 50) %. Le ferricyanure ferrique pénétrerait la fibre par une sorte de dissolution, puis s'y transformerait en bleu de Prusse sous l'action même de la fibre.


Relation entre la couleur et la constitution chimique.
Existe-t-il une relation entre la couleur des corps et leur constitution chimique?
Presque toutes les matières colorantes, les quinones, la rosaniline, l'indigo, l'acide rosolique, sont transformées par réduction en corps incolores; c'est le contraire pour les azo. Graebe et Liebermann en ont conclu qu'il devait y avoir une relation entre la couleur des corps et la disposition des . atomes dans la molécule, puisque d'ailleurs, si nous considérons des composés isomères, les uns sont colorés et les autres incolores.

Les carbures aromatiques sont incolores. Si l'on introduit, dans leur molécule certains groupes que O.N. Wilt a nommés chromophores : exemple, le groupe nitro N02, le groupe diazo
N2, ces carbures deviennent des chromogènes, et acquièrent la propriété de produire des corps colorés, si dans leur molécule on introduit des groupes salifîables de substitution OH ou NH2.

C
hromophores et chromogènes.
En 1876, O.N. Witt résuma ses idées sur ce sujet dans les trois principes suivants :
1) Dans les composés de la série aromatique, les propriétés tinctoriales sont dues à la présence simultanée d'un chromophore et d'un radical salin. On nomme chromophore un groupe capable de donner la couleur, par exemple
N02; tandis que l'amidogène NH3 et l'hdroxyle OH sont des groupes capables de donner un sel. Tout corps qui renferme un chromophore s'appelle un chromogène:
dans le nitrophénol
(NO2) (OH) (C6H4):
Le chromophore est : NO2.
Le chromogène est : (C6H4) (NO2),(la nitrobenzine).
2)
Les corps qui contiennent un chromophore sont colorés avec plus d'intensité sous forme de sels qu'à l'état libre.
3)
Plus le sel est stable, plus le corps est coloré, étant donné que la base chromophorique reste la même. Par exemple, l'aniline est incolore; elle ne renferme pas de chromophore.

Si nous introduisons le chromophore
NO3, nous obtenons un composé nitré, c'est la NITROANILINE qui est coloré, les sels sont d'autant plus colorés qu'ils sont plus stables. Dans cette classe de colorants, les deux groupes NH2 et NO2 occupent la même position que les atomes de l'oxygène dans la quinone, c'est-à-dire qu'ils correspondent au composé para (1/4), et les deux autres nitroanilines sont loin d'avoir les mêmes propriétés tinctoriales.
A
insi les corps renfermant un chromogène sont transformés en matières colorantes par l'introduction d'un groupe capable de donner un sel:NH2, OH, etc. Mais la perte
de H, conduit à une modification considérable de la couleur. Le chromogène par l'adjonction des groupes NH2 ou OH ne se colore pas, car la nature basique des composés se trouve réduite par la modification des groupes.
Si le corps, au contraire, renferme le groupe
NH-Me au lieu du groupe NH2, ce corps reste coloré, et le composé demeure basique. La phénolphtaléine ne teint pas, tandis que la fluorescéine donne une teinte jaune fugitive. Si la fluorescéine,"acide faible", est convertie en un composé nitré ou brome, elle devient "acide fort" et peut alors donner des couleurs intenses dont l'éosine. On peut appliquer un raisonnement semblable à la nitrophénylamine et aux matières colorantes azoïques.
En somme, l'idée dominante sur la question de l'origine de ta couleur est que l'union ou la valence des éléments constitutifs est la cause de la couleur du composé.

Les données précises sur ces points ne s'appliquent qu'aux dérivés azoïques. Parmi eux:
Les composés non saturés de H, dérivés azoïques, diazoïques, azoxiques, hydrazones.
Les dérivés sulfonés, carboxylés, bromés n'ont pas d'influence sur la couleur. Les nitrés poussent vers le jaune.
Les amidés et les hydroxylés sont de véritables chromophores.


Fixation des couleurs substantives.
Quel est dans les couleurs substantives artificielles l'élément simple ou le groupe qui joue le principal rôle dans leur fixation sur les fibres?
Pour les colorants thioniques, le soufre semble jouer un rôle important.
Pour les colorants tétrazoïques, cela tiendrait-il au groupement de la base, benzidine, etc.?

M. Mohian
a démontré en 1886 qu'on pouvait commencer par fixer la benzidine sur le coton, puis la transformer en jaune de chrysamine par les réactions génératrices opérées sur la fibre elle-même.
Mais on a reconnu que la benzidine ne se fixe, uniquement, que sur coton blanchi; tandis que le rouge congo se fixe bien sur le coton blanchi ou non.

P. Werner
trouve qu'un tétrazo n'est un bon colorant substantif que si les deux groupes amido sont symétriques.

F
ixation des matières colorantes à mordants.
Quelle est la cause pour laquelle une matière colorante teint la la fibre avec les mordants?
Liebermann et de Kostanecki ont observé que, de tous les dérivés hydroxyliques de l'anthraquinone, ceux-là seuls teignent la fibre mordancée qui ont deux groupe hydroxyles
OH dans la position ortho 1, 2. C'est le cas pour l'alizarine, mais non pour ses 7 isomères connus : les trois purpurines, l'anthragallol, le rufigallol, etc.
D'après de Kostanecki, qui a étendu considérablement ces observations, tous les colorants possédant deux groupes
OH en ortho, ou les radicaux OH-OH, O-NOH, OH-CO2H, jouissent de la propriété de se fixe sur les étoffes mordancées. Il en est ainsi de la galléine, de la céruléine, de la gallocyanine, de la galloflavine, du styrogallol, etc...
En général, dans les colorants di-hydroxyliques, dans les quinones-oximes et les oximes, seuls les "ortho" possédent les propriétés tinctoriales.